Pour en savoir plus sur le rôle des normes à l’occasion de la Journée internationale de la sécurité sanitaire des aliments, nous avons posé des questions à Tom Heilandt, Secrétaire de la Commission du Codex Alimentarius, l’organe des Nations Unies chargé d’établir des normes garantissant la sécurité sanitaire des aliments.
Des pratiques agricoles adaptées pour une agriculture intelligente
L’ISO a mis sur pied un groupe d’experts internationaux pour relever le défi d’une alimentation durable dans un monde aux besoins croissants grâce à des technologies intelligentes.
La plupart d’entre nous s’accordent à dire que l’humanité est confrontée à de sérieux problèmes. Si notre rythme de vie toujours plus effréné est en partie responsable de ces problèmes, les technologies ouvrent cependant de nouvelles voies pour les résoudre, notamment en mettant à profit la force de la connectivité pour nourrir une population toujours plus importante sur une planète dont les ressources s’amenuisent.
Des instructions claires pour des problèmes complexes
Si vous êtes par nature plutôt prudent, ou si vous avez eu un peu de temps devant vous, vous avez probablement déjà pris connaissance des instructions à suivre en cas d’évacuation d’urgence.
Seulement, les instructions qu’il nous faut suivre pour éviter un désastre planétaire imminent ne sont pas affichées dans un endroit particulièrement visible. Elles sont pourtant bien là, sous la forme de Normes internationales.
La question qui se pose pour beaucoup, y compris celles et ceux qui savent déjà ce qu’est une norme, c’est de savoir par où commencer. On peut examiner cette question urgente sous de multiples angles, mais certains des problèmes les plus importants ont été regroupés de manière cohérente dans le cadre des Objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD). C’est pourquoi les ODD et le programme à l’horizon 2030 qui y est associé constituent l’épine dorsale de la Stratégie de l’ISO 2030.
Les ODD sont au nombre de dix-sept, classés selon un savant code couleur, et il est un aspect fondamental à garder à l’esprit concernant ces objectifs : ils sont en réalité indissociables les uns des autres. Un peu comme pour un Rubik’s cube, il est impossible de compléter une face avant de passer à la couleur suivante.
Du fait de leur interdépendance, les enjeux mis en lumière par les ODD des Nations Unies doivent être traités de manière pratiquement simultanée. Les campagnes menées dans le cadre de la Journée internationale des femmes sous le hashtag #IWD22 ont souligné l’existence de liens inextricables entre les mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques et l’égalité entre les sexes, sans oublier l’impact encore plus manifeste d’une eau propre et de l’assainissement pour parvenir à une bonne santé et au bien-être.
Intrinsèquement, aucun d’entre nous ne parviendra à atteindre un seul de ces objectifs si nous n’atteignons pas l’objectif Faim « zéro ». Et vous ne pourrez pas lutter pour la paix, la justice et des institutions efficaces ou protéger la vie aquatique le ventre vide.
L’agriculture concerne de multiples ODD, que ce soit directement, en apportant des réponses à l’objectif Faim « zéro », ou indirectement, en contribuant à l’objectif Pas de pauvreté. Mais comme la plupart des activités humaines, elle mobilise également des ressources et peut avoir des répercussions négatives. Le rôle des normes est d’aider les exploitations agricoles de toutes tailles à gagner en productivité tout en limitant l’impact de l’agriculture sur la réalisation de certains ODD (Eau propre et assainissement, Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques, ou Vie terrestre). Les normes ISO peuvent aider tous les agriculteurs dans cette optique, dans le cadre de petites exploitations tournées vers l’agriculture vivrière comme d’exploitations s’étendant sur des dizaines de milliers d’hectares et reposant principalement sur la mécanisation.
Comment envisagez-vous l’avenir de l’agriculture ?
N’hésitez pas à vous impliquer au sein du Groupe consultatif stratégique de l’ISO (SAG) et à nous en dire plus.
Au sein du SAG, les membres de l’ISO pour les États-Unis et l’Allemagne coordonnent les experts issus de 21 pays. Chaque membre de l’ISO désireux de participer aux travaux du SAG a désigné un expert pour intégrer des contenus pertinents en fonction du contexte et des intérêts prévalant dans son pays.
Contactez-nous pour découvrir comment participer aux travaux du SAG.
Le SAG a été chargé de cartographier le paysage normatif de l’agriculture intelligente sur l’intégralité de la chaîne de valeur agroalimentaire dans le contexte des ODD des Nations Unies, ainsi que d’évaluer les besoins futurs en termes de normalisation.
Le SAG travaille avec les parties prenantes concernées pour établir une vue d’ensemble des normes relatives à l’agriculture intelligente, ainsi qu’un plan. Ces derniers devraient être disponibles fin 2022.
Les normes ISO, un ingrédient clé
Pour régler des problèmes connexes, il vous faut des solutions concertées. C’est précisément le type d’approche que permettent les normes ISO. Vous pouvez saisir le rôle fondamental de la normalisation dans de nombreuses situations, par exemple, la façon dont nous contribuons à accélérer le développement des villes intelligentes. Dans le cas présent, à l’autre extrémité du spectre, nous centrons nos travaux sur les terrains agricoles et la production agroalimentaire.
Le monde numérique synonyme d’hyper-connexion, qui est fondé sur une rapidité artificielle et ne s’arrête jamais, se heurte au lent développement des feuilles, des pousses, des grains et des tubercules. Ces deux mondes semblent à première vue inconciliables.
C’est un fait, l’agriculture est désormais très axée sur les données. Alors que les ressources et les marges sont considérablement réduites et que les changements climatiques rendent le temps moins prévisible, l’agriculture à des fins commerciales repose à présent sur la collecte, l’interprétation et l’échange de volumes croissants d’informations pour permettre aux exploitants de poursuivre leurs activités. Mais trop souvent, la communication entre les différents dispositifs, capteurs et logiciels utilisés est loin d’être optimale. Or, c’est précisément dans le domaine de l’interopérabilité que l’ISO peut apporter son aide.
Le SAG pour l’agriculture intelligente, ou « Groupe consultatif stratégique » pour celles et ceux qui connaissent bien l’ISO, est un modèle à suivre si l’on entend rassembler les différents éléments et permettre une agriculture véritablement intelligente.
L’une des priorités de ce groupe est de développer des synergies en s’assurant que les experts concernés de différents secteurs travaillent main dans la main.
Concrètement, cela consiste à réunir autour d’une même table ingénieurs agricoles et agronomes avec celles et ceux qui n’ont peut-être jamais mis les pieds dans une ferme. Mais lorsqu’il s’agit de cultiver quelque chose dans un environnement contrôlé artificiellement, il est alors on ne peut plus logique que de demander aux experts de l’éclairage de partager leurs idées lumineuses. De même, nous devons pouvoir compter sur l’avis des experts de la robotique pour déterminer comment les drones pourraient assurer des tâches particulièrement répétitives ou dangereuses sur une exploitation agricole. Vous avez saisi le principe. C’est précisément pour cette raison que plus de 30 comités techniques ISO (et leurs sous-comités hautement spécialisés) forment le noyau du SAG.
Les experts concernés de différents secteurs travaillent main dans la main.
comités techniques et sous-comités de l’ISO unissent leurs efforts pour que l’agriculture intelligente devienne réalité.
Le SAG de l’ISO sur l’agriculture intelligente est animé par les membres de l’ISO pour les États-Unis et l’Allemagne, deux des leaders mondiaux de l’agriculture industrielle. Le noyau de ce nouveau groupe réunit des membres de l’ISO de 21 pays, représentant l’éventail complet des contextes et des défis agricoles possibles et imaginables.
Il inclut notamment des mastodontes comme la Chine et l’Inde (deux pays dont l’agriculture repose à la fois sur des exploitations familiales de subsistance et sur des exportations de produits de base à l’échelle industrielle), mais aussi des pays tels que Singapour ou les Pays Bas (tous deux remédiant à la forte densité de leurs populations sur des terres à forte valeur par le bais d’une production hautement intensive reposant largement sur les technologies).
La pandémie de COVID a provoqué en l’espace de quelques mois une croissance numérique de 7 à 10 ans.
Mise en réseau de la production agroalimentaire : c’est maintenant ou jamais
Après avoir été confronté à une crise sanitaire interminable (et toujours bien présente), vous pourriez vous attendre à ce que l’économie mondiale soit bien plus dégradée qu’elle ne l’est actuellement. C’est peut-être à mettre sur le compte de notre résilience et de notre capacité à nous adapter en adoptant de nouveaux comportements et en développant rapidement des vaccins. Mais cela repose en grande partie sur l’accélération vertigineuse et redoutable de la numérisation, qui a à la fois permis d’assurer la continuité des activités et le développement de nouveaux services. En 2020 déjà, lorsque nombre d’entreprises et d’organisations tentaient de parer au plus pressé, les gourous du conseil nous expliquaient que la COVID avait marqué un tournant technologique et qu’en l’espace de quelques mois, nous avions connu une croissance numérique de 7 à 10 ans.
Avec une connectivité plus importante que jamais, le moment était venu de développer les technologies de l’agriculture intelligente, reposant essentiellement sur la « mise en réseau de la production agroalimentaire ».
Les principales opportunités identifiées par le SAG concernent la normalisation des interfaces, et la manière dont les données seront collectées, formatées, stockées et échangées tout au long de la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire, ainsi que l’optimisation des méthodes de production qui s’appuient sur l’agriculture de précision et les nouvelles techniques de culture.
L’agriculture de précision est probablement la forme la plus simple à appréhender pour le plus grand nombre s’agissant de la concrétisation de l’agriculture intelligente. Elle existe depuis des dizaines d’années sous une forme ou sous une autre, comme les capacités de guidage automatique permettant de rationaliser le temps et la main-d’œuvre sur le terrain. Mais ce n’est que maintenant que nous avons, grâce à des technologies tels que l’intelligence artificielle (IA), la capacité de saisir, de traiter et d’interpréter des données suffisamment rapidement pour fournir des informations précieuses aux agriculteurs et les aider sans relâche à cultiver de manière rentable, durable et conforme aux réglementations.
L’agriculture de précision consiste à appliquer les intrants de la manière la plus efficace possible, en tenant compte des infimes variations du taux de croissance, des conditions du sol ou des niveaux de ravageurs et de maladies pour une culture donnée. Ainsi, les engrais, par exemple, ne sont appliqués que là où ils sont nécessaires. Sachant que la production d’engrais de synthèse nécessite une énorme quantité d’énergie, leur utilisation de manière efficace est essentielle pour limiter l’empreinte carbone des produits alimentaires qui finissent dans nos assiettes. Il en va de même pour toute technique permettant de limiter le gaspillage, comme le recours aux robots de sarclage mécanique utilisant l’IA pour reconnaître et isoler des végétaux indésirables avant de les détruire au moyen de lasers.
Les systèmes d’information de gestion d’exploitation agricole (FMIS) donnent une vue d’ensemble de toutes les opérations qui ont lieu sur une exploitation agricole, voire plusieurs. Là encore, le concept n’est pas nouveau, mais le degré de connectivité et la capacité de stocker les informations relatives aux opérations et d’accéder à ces dernières en toute sécurité ont ouvert la voie à de nouveaux niveaux de gestion, soutenus par des consultants externes, notamment des agronomes, qui sont ainsi en mesure de développer des idées et des stratégies sans passer autant de temps à se déplacer d’un site à l’autre.
En comparant les niveaux de stock et en examinant la consommation historique et les niveaux de production actuels, les fournisseurs peuvent travailler avec les agriculteurs pour établir des prévisions plus précises. Cela signifie que les semailles et les récoltes, en particulier celles des cultures à croissance rapide (comme les salades ou les herbes aromatiques), peuvent être effectuées en fonction de la demande, ce qui réduit considérablement le gaspillage et les pertes après récolte. Concrètement, les exploitations agricoles éloignées auront besoin d’une connectivité fiable à haut débit ainsi que d’un moyen normalisé d’échanger, de stocker, de traiter et d’interpréter en toute sécurité les informations provenant du terrain.
La robotique et l’automatisation sont indissociables de l’agriculture de précision. Non seulement les machines peuvent appliquer de façon plus rigoureuse des taux variables d’intrants, permettant ainsi une plus grande précision, mais elles peuvent réellement contribuer à améliorer les conditions de travail des agriculteurs et des ouvriers agricoles. L’agriculture est en effet un domaine particulièrement exigeant. Elle demande souvent de longues journées et un travail acharné, qui peut également s’avérer dangereux. Or, si des précautions peuvent être prises pour limiter au maximum les risques les plus importants (travail en hauteur ou avec des charges importantes, utilisation de produits chimiques), ma propre expérience au sein d’exploitations agricoles m’a permis de constater qu’elles sont trop souvent ignorées, en particulier lorsque de telles opérations doivent être réalisées sur une courte durée pour coïncider avec des conditions météorologiques propices, les demandes du marché ou l’arrivée à maturité des cultures.
Les membres de l’ISO formant le noyau du SAG pour l’agriculture intelligente
Le noyau du SAG de l’ISO comprend les organismes nationaux de normalisation des pays suivants :
Allemagne, Arabie saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée, États-Unis, France, Inde, Iran, Italie, Japon, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Royaume-Uni, Russie, Rwanda, Singapour, Suisse.
Une agriculture intelligente centrée sur les personnes et la prospérité
Outre le fait qu’elles rendent la vie plus sûre, la robotique et l’automatisation peuvent également contribuer à améliorer les faibles marges d’une exploitation agricole, voire sa viabilité. Le mouvement général vers les zones urbaines contribue grandement à des modes de vie efficaces et diversifiés sur une planète en pleine croissance, mais il est aussi synonyme de pénurie de personnes prêtes à retrousser leurs manches et à travailler la terre. Dans de nombreuses économies développées, l’impossibilité pour les personnes de se déplacer en raison de la COVID a eu pour conséquence que de nombreuses cultures ont fini par pourrir dans les champs. Le développement de l’agriculture automatisée pourrait offrir une solution à l’exode rural.
Il nous faut trouver des terres agricoles d’une superficie équivalente à celle de l’Italie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande, de la France, de la Corée du Sud et de l’Allemagne réunis.
Les petits exploitants peuvent également tirer parti des normes relatives aux données, rendues possibles par les travaux du SAG. Les smartphones étant de plus en plus abordables, il devient plus simple pour ces agriculteurs particulièrement vulnérables d’accéder à de meilleurs outils de gestion du risque, tels que l’assurance récoltes, d’utiliser des outils de diagnostic pilotés par l’IA, qui peuvent les aider à mieux prendre soin de leurs cultures en l’absence d’agronomes qualifiés, et même d’accéder aux données du marché et d’obtenir le meilleur prix pour leurs cultures. Au-delà de ces exemples, le SAG de l’ISO pour l’agriculture intelligente contribuera de multiples façons au perfectionnement de technologies spécifiques.
En 2020, une équipe de chercheurs internationaux a publié une vue d’ensemble détaillée de l’agriculture intelligente dans la revue Agronomy. En plus de proposer une analyse détaillée de l’état actuel et des possibilités futures de l’agriculture intelligente, cet article recense les différents types de technologies de l’agriculture intelligente qui permettront de relever les défis de l’agriculture en plein champ. Il met également en évidence le rôle précis des normes dans l’interopérabilité et la conformité à une législation en constante évolution.
Protéger notre planète et couvrir à nos besoins
Selon un article paru en 2021 dans Nature Sustainability explores, qui examine certains des problèmes auxquels l’agriculture est confrontée ainsi que les solutions potentielles, « si les tendances agricoles actuelles se confirment, les pressions exercées sur la biodiversité augmenteront considérablement ; selon des projections basées sur la croissance démographique et les transitions alimentaires, il nous faudrait pouvoir disposer de deux à dix millions de kilomètres carrés de nouvelles terres agricoles, en grande partie défrichées au détriment des habitats naturels ».
Mettons cela en perspective. Si l’on se base sur le chiffre inférieur, il faudrait potentiellement trouver des terres agricoles d’une superficie équivalente à celle de l’Italie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande, de la France, de la Corée du Sud et de l’Allemagne réunis. Le chiffre supérieur impliquerait une superficie supérieure à celle du Canada ou de la Chine.
La seule façon de créer de telles terres agricoles serait de débarrasser intégralement les sols existants, et donc de supprimer les zones humides, les forêts, les parcs et les zones sauvages, ainsi que les plantes, les champignons, les insectes, les oiseaux, les personnes et toute autre espèce animale vivant sur ces terres.
Alors que la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques et toutes les manifestations qui l’ont suivie jusqu’à la COP26 ont vu les gouvernements prendre des « engagements » et les acteurs du secteur privé faire des « promesses », nous continuons de battre des records en matière de déforestation à l’échelon mondial. Nous détruisons des écosystèmes uniques qui contribuent à réguler le climat de la planète. Il est donc d’autant plus probable que l’élévation du niveau des mers submergera les zones de faible altitude et réduira réellement la surface habitable de la Terre, obligeant les populations à se déplacer et exerçant une pression supplémentaire sur les zones destinées aux cultures.
En 2022, notre espèce doit d’urgence trouver des solutions afin de répondre de manière adéquate au plus fondamental de nos besoins : produire suffisamment de nourriture pour que chacune et chacun puisse manger à sa faim. En reconnaissance de l’importance fondamentale de l’agriculture pour notre avenir, l’ISO réunit les experts mondiaux de l’agriculture et de nombreux autres secteurs au sein du SAG pour l’agriculture intelligente récemment créé.
Pour l’ISO, l’agriculture intelligente ne se limite pas à une simple combinaison de technologies et de travail du sol dans le simple but d’allier les deux. L’objectif est bien de s’attaquer à une question urgente, celle de la durabilité. En effet, la population mondiale tout comme la demande en denrées alimentaires vont (grandement) augmenter avant de se stabiliser et de devenir gérables. Cela implique de trouver de nouvelles manières de définir et de gérer nos priorités, en particulier s’agissant de l’utilisation des terres et des ressources en eau.